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Hospes signifie en latin à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli: dans l’acte d’hospitalité, il y a création d’un temps et d’un espace à travers une expérience émotionnelle commune qui dépasse le cadre des codes institutionnels. A quoi ressemble cette expérience si particulière ? Envisagée comme une relation unilatérale, où l’un donne et l’autre reçoit, elle pourrait se transformer en un lien de dépendance et de soumission sans rapport avec l’hospitalité. Le sens de l’hospitalité engage les deux partenaires au sein d’une relation dans laquelle chacun a sa part. Celui qui accueille rencontre et accepte en même temps l’inévitable ambivalence face à l’étranger qui se présente au seuil de sa maison. Car hospes signifie également l’hostilité: c’est bien parce qu’il n’est pas moi, et ne fait pas partie des « miens », que l’étranger menace potentiellement l’intégrité de mon clan. Devenir hostile, c’est-à-dire non hospitalier, est vraisemblablement la conséquence d’une peur ayant une fonction de défense face à la fragilité de mes propres frontières internes. Tant que cette peur n’est pas devenue consciente et reconnue comme telle, elle est accompagnée d’une incapacité à tolérer l’ambivalence qui se traduit par le rejet massif de l’autre. Le désir de préserver l’identité personnelle et l’identité de clan prend alors toute la place, transformant l’hospitalité potentielle en une hostilité traversée de fantasmes d’effraction. L’érection de murs aux frontières de certains pays est un exemple et une matérialisation de ce rejet qui se joue originellement à l’intérieur de chacun. Dans le cas où la capacité d’accueillir l’autre est présente, le voyageur ou l’exilé invite toujours par sa présence à expérimenter une « inquiétante étrangeté », là où le confort du « chez soi » a pu se confondre, par moments, avec une illusion de toute-puissance. Accueillir devient à ce moment la capacité d’écoute, de contenance et de traduction de tout ce que le voyageur apporte avec lui: en ce lieu hospitalier, il vient déposer les éléments encore bruts ou indéchiffrables qui se transformeront, au fil des échanges, en un récit. Sans écoute et sans empathie, aucun récit de voyage ou d’exil ne peut émerger. C’est l’hôte qui offre la stabilité et le confort de sa maison - on peut entendre aussi par là, de sa présence bienveillante - comme lieu prêté au voyageur éprouvé par son voyage pour retrouver sa parole, son histoire, le récit et le sens de ses péripéties. En ce sens, accueillir l’autre, c’est accepter de ne rien savoir de lui a priori, de découvrir qui il est à travers la relation. Cela peut comprendre tous les aspects de l’autre, y compris les possibles déceptions. Le sens de l’hospitalité du côté de l’hôte accueilli fonctionne en miroir avec celui qui l’accueille, dans un échange où chacun s’ouvre à l’autre. L’hôte accueilli contribue à la rencontre et à l’établissement du lien par sa capacité à faire confiance, à consentir à l’hospitalité de son hôte, à venir déposer dans la relation quelque chose de lui qui sera transformé et traduit par la rencontre. Dans ce processus, chacun s’humanise davantage en traversant avec l’autre cette expérience des limites entre le dedans et le dehors. En ce sens, accueillir l’autre, c’est aussi s’accueillir soi-même, grâce à la relation. Entre intimité et distance, l’expérience de l’hospitalité vient questionner notre humanité et sa dimension spirituelle: la maison d’accueil est aussi la maison où sont déposées la parole et l’existence de la personne humaine. La coïncidence entre l’accueillant et l’accueilli est la réalisation de leur humanité. L’hospitalité sans étranger, ou sans Autre n’existe pas. Peu importe si la maison hospitalière est un palais ou une cabane, du moment qu’on y est accueilli et entendu. Cela me rappelle cette histoire racontée par Freud dans les "Trois essais sur la sexualité": c’est la nuit et un enfant s’adresse à sa tante dans l’obscurité de sa chambre: « Tante, parle-moi; j’ai peur »; à quoi la tante répond qu’elle ne voit pas à quoi cela servirait à l’enfant qu’elle parle, puisqu’il ne la voit pas. Ce à quoi l’enfant répond: « Il fait plus clair lorsque quelqu’un parle. » Cette merveilleuse parole enfantine révèle la dimension lumineuse du lien humain, lien de l’esprit qui se tisse au-delà du visible, en ce lieu si fondamental, au coeur de l’humain, qu’est l’hospitalité. Alisa El Beze


  • Date : 10/12/2022 10:00
  • Emplacement 21 Rue de Maguelone, Montpellier, France (Carte)